Coupé du monde en d’autres lieux plus propices à la méditation, j’ai peu suivi l’actualité durant ces dernières semaines. La séance de rattrapage à laquelle je viens de me livrer nonchalamment s’est avérée bien peu captivante : il est essentiellement question dans nos media de jeux olympiques, de résultats du loto, de burkini, de routes encombrées, de célébration de l’Assomption sous haute sécurité… En fouillant un peu, on trouve encore, au hasard, des informations sur le prélèvement de l’impôt à la source, les incendies dans le sud de la France, l’entrée en vigueur en catimini de la loi El Khomri, le rejet de la demande de libération conditionnelle de Jacqueline Sauvage, la candidature de Benoît Hamon à la primaire de gauche, les regrets de Trump, le versement de l’allocation de rentrée scolaire… Il faut réellement faire preuve de ténacité pour enfin tomber sur le 12ème Forum Social Mondial qui a lieu du 9 au 14 août à Montréal.
Un autre monde est nécessaire, ensemble il devient possible !
Tel est le slogan retenu par les organisateurs, qui prévoyaient que 1100 organisations de la société civile locale et mondiale issues de 120 pays y seraient représentées et proposeraient 1300 activités (artistiques et culturelles entre autres) autogérées par les participants eux-mêmes et 21 grandes conférences, le tout réparti selon 13 thèmes qui méritent largement d’être mentionnés ici : (voir le détail de la programmation)
- Alternatives économiques, sociales et solidaires face à la crise capitaliste
- Démocratisation de la connaissance et droit à la communication
- Culture de la paix et lutte pour la justice et la démilitarisation
- Décolonisation et autodétermination des peuples
- Défense des droits de la nature et justice environnementale
- Luttes globales et solidarité internationale
- Droits humains et sociaux, dignité et luttes contre les inégalités
- Luttes contre le racisme, la xénophobie, le patriarcat et les fondamentalismes
- Lutte contre la dictature de la finance et pour le partage des ressources
- Migrations et citoyenneté sans frontières
- Démocratie, mouvements sociaux et citoyens
- Monde du travail face au néolibéralisme
- Expressions culturelles, artistiques et philosophiques pour un autre monde possible
Ces sujets sont sans doute insuffisamment susceptibles d’attirer l’attention des Français en cette période de repos bien mérité (pour ceux qui en auront eu le privilège).
La veille de l’ouverture, le 8 août, Libération note que cet événement se produit pour la première fois dans un pays du Nord, membre du G7, que ce forum vise à aussi dépasser les clivages Nord-Sud (relayé en cela par TV5 Monde), que la désobéissance civile y sera mise à l’honneur et que ce forum s’est imposé comme un «anti-Davos». Le journal évoque entre autres les mobilisations prévues pour s’opposer au projet de construction du pipeline Energie Est par la compagnie TransCanada (voir notre article).
Le même jour, RFI prend un malin plaisir à noircir le tableau, la ville choisie, apparemment peu accessible, lui faisant perdre « quelque peu de sa force symbolique », ce forum 2016 manquant « d’originalité » et demeurant « pour beaucoup une vue de l’esprit », le tout ne représentant que « pure rhétorique et logorrhée gauchisante aux yeux de beaucoup», avec un programme toutefois « brûlant de réalisme »…
Le Monde se fend le 9 août, jour de l’ouverture, dans ses pages Economie Mondiale, d’un article annonçant ce grand rassemblement altermondialiste. Les organisateurs attendent 50 000 personnes, avec le projet de « construire des alternatives concrètes au modèle économique néolibéral et aux politiques fondées sur l’exploitation des êtres humains et de la nature ».
Le Point prend le train en marche, ne manquant pas d’évoquer « la faible mobilisation d’un mouvement en manque de souffle» à propos de l’altermondialisme.
La Dépêche, journal sudiste, sera le seul régional à rendre compte, dans son édition du 12 août, d’un défilé de mode éthique, se concentrant sur le seul sujet du commerce équitable.
Europe 1 fait état le 15 août d’un « bilan mitigé », l’expliquant partiellement par l’impossibilité faite à 230 conférenciers étrangers d’obtenir un visa d’entrée de la part des autorités canadiennes.
Pour La Tribune, dans son édition du 16 août, « l’altermondialisme peine à trouver sa dynamique ».
Le peu d’enthousiasme qu’ont manifesté ces quelques media renforce le désintérêt général de la presse, des radios et chaînes de télévision pour relayer l’information de cet événement, au moins aussi important que la COP 21 et qu’on ne pourra quand même pas qualifier de négligeable…
Et alors ?
On pourra éventuellement se tourner vers la presse québécoise (par exemple ici, ici, ici et ici) pour davantage d’informations, quoique, passé l’effet d’annonce et au vu du « bilan mitigé », il semblerait que le sujet soit vite devenu là-bas plutôt obsolète…
Il semblerait d’ailleurs que d’autres priorités se fassent jour, à savoir l’alliance envisagée entre le Canada et les États-Unis, à l’initiative de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ), pour développer le marché du sirop d’érable, dont ces deux pays sont les seuls producteurs mondiaux…
Plus sérieusement, la Commission européenne venant de proposer officiellement au Conseil de l’UE de signer et conclure l’AECG (autrement dénommé CETA pour Accord Économique et Commercial Global), on peut supposer que les Canadiens ont actuellement de toute évidence d’autres chats à fouetter. Le gouvernement français s’apprête à voter la signature du CETA dès octobre. Cela va créer un précédent rendant difficile l’arrêt des négociations en vue de l’ accord de libre-échange avec les États-Unis (TAFTA) qui se poursuivent aujourd’hui, malgré les critiques timides de nos gouvernants.
A Montréal, il en a été fortement question. On aurait aimé en entendre parler un peu plus. Une fois de plus, les media dominants se montrent sous leurs vraies couleurs en évitant de nous informer correctement sur ce sujet majeur concernant nos vies…